Premier cas clinique de vMCJ chez un hétérozygote : le début d’une seconde vague de malades ?

Jeanne Brugère-Picoux

Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
 

L’annonce récente d’un premier cas clinique de la forme variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ) liée à l’encéphalopathie spongiforme bovine (ESB) chez un sujet britannique hétérozygote 129MV ne peut que relancer l’hypothèse d’une seconde vague de vMCJ au Royaume-Uni comme en France. Le nombre de nouveaux malades ne devrait toutefois pas être supérieur à celui enregistré lors de la première vague.

Il y a bientôt trois décennies que l’ESB est apparue au Royaume-Uni, à l’origine d’une des crises majeures que nous ayons connues dans le domaine de l’agro-alimentaire du fait de l’annonce en mars 1996 de la possible transmission du prion bovin (souche ESB classique ou ESB-C) à l’Homme, à l’origine des 231 cas de la forme variante de la maladie de Creutzfeldt-Jakob (vMCJ) [1].

Extinction apparente de l’épidémie de vMCJ

La mise en œuvre progressive de mesures drastiques, destinées à éviter une contamination alimentaire du cheptel bovin et une transmission à l’Homme, a permis d’observer la disparition progressive des cas d’ESB-C dans de nombreux pays mais aussi la découverte d’autres souches d’ESB dites atypiques, la maladie étant devenue à nouveau rare dans les cheptels bovins.

L’épidémie de vMCJ semblait s’être éteinte du fait de l’absence de nouveaux cas cliniques de vMCJ depuis 2013 et 2014 dans les deux pays les plus touchés, le Royaume-Uni et la France respectivement.

Jusqu’alors, tous les cas étaient homozygotes méthionine-méthionine sur le codon 129 (129MM), cette homozygotie étant connue pour favoriser de plus courtes durées d’incubation de la MCJ, par comparaison avec les sujets hétérozygotes méthionine-valine (129MV).

L’annonce récente d’un premier cas clinique de vMCJ chez un sujet britannique hétérozygote 129MV [2] ne peut que relancer l’hypothèse d’une seconde vague de vMCJ au Royaume-Uni comme en France, celle-ci présentant au pire les mêmes données numériques que la première épidémie.

Temps moyen d’incubation de 16,5 ans chez les homozygotes

Après l’annonce en mars 1996 des premiers cas de vMCJ, on a pu observer une augmentation progressive de leur nombre jusqu’à l’année 2000 au Royaume-Uni (28 cas) puis leur diminution régulière, le dernier cas étant décédé en 2016, soit un total de 178 cas.

Pour ces cas, il faut noter que :

  • jusqu’en 2013, seuls les sujets homozygotes étaient atteints, avec un temps d’incubation moyen estimé de 16,5 années ;
  • 3 cas sont d’origine iatrogène par transfusion sanguine, avec des temps d’incubation plus courts, entre 6,5 et 8 ans du fait de l’absence d’une barrière d’espèce ;
  • le cas hétérozygote décédé en février 2016 était âgé de 36 ans ; il avait présenté les premiers symptômes d’une MCJ sporadique (forme classique de la MCJ) en août 2015 mais les lésions histologiques de l’encéphale et l’identification biochimique de la souche ESB-C ont permis de reconnaître une vMCJ ;
  • jusqu’alors on ne connaissait qu’un cas de suspicion clinique de vMCJ en 2009 sur un sujet hétérozygote mais celui-ci n’avait pas pu être confirmé par une autopsie ; en revanche, on a pu démonter l’infectiosité de la rate d’un autre sujet britannique hémophile hétérozygote, contaminé par des produits sanguins (facteur VIII) et décédé sans avoir développé la maladie ; enfin, une étude rétrospective réalisée au Royaume-Uni sur des prélèvements d’amygdales et d’appendices a aussi démontré que les trois génotypes humains pouvaient être porteurs asymptomatiques de la vMCJ dans la proportion d’un sujet britannique sur 2 000 à 4 000 personnes.

La France, deuxième pays le plus touché

La France a été le deuxième pays le plus touché avec 27 cas de vMCJ.

Les épidémiologistes considèrent que l’évolution des cas français, avec un pic en 2005, est en corrélation avec les exportations de produits bovins britanniques : les exportations d’abats de bovins britanniques avaient été multipliées par 20 vers les années 1988-1989, passant de 300 tonnes à 6 000 tonnes par an, certains de ces abats ayant pourtant été déconseillés pour les aliments destinés aux bébés par le « comité Southwood » créé en mai 1988 au Royaume-Uni [3] (fig. 1).

Il en est vraisemblablement de même pour les dix autres pays touchés avec un total de 26 cas dont certains correspondent aussi à des personnes ayant séjourné au Royaume-Uni : 5 cas en Espagne, dont le seul cas familial où une mère et son fils ont déclaré la maladie ; 4 cas en Irlande et aux Etats-Unis ; 3 cas aux Pays-Bas et en Italie ; 2 cas au Canada et au Portugal ; un seul cas au Japon, en Arabie Saoudite et à Taïwan (fig. 2)

 

Fig. 1 : Exportations d’abats vers la France à partir du Royaume-Uni

Fig. 2 : Nombre de cas annuels de vMCJ dans le monde

Les homozygotes ne sont plus les seuls susceptibles à l’agent bovin

On connaissait l’importance des polymorphismes [méthionine (M)-valine (V)] sur le codon 129 sur le temps d’incubation de la MCJ dans sa forme sporadique ou iatrogène ainsi que sur le Kuru, autre forme d’encéphalopathie spongiforme transmissible par cannibalisme rituel, l’hétérozygotie 129MV étant associée à un temps de survie plus importante.

La distribution normale de ces génotypes est, selon les auteurs, de 42 % 129MM, 46 à 47 % 129MV et 11 à 12 % 129VV.

Par ailleurs, des expériences de transmission à des souris transgéniques surexprimant la protéine prion humaine et portant les différents génotypes sur le codon 129 ont montré une sensibilité à la souche vMCJ dans l’ordre décroissant MM > MV > VV.

D’autres études utilisant des techniques moléculaires ont confirmé ce risque décroissant avec l’agent bovin. Les individus 129MV et 129VV ont donc pu être contaminés et demeurer infectés asymptomatiques avec un temps d’incubation plus long où l’on pouvait espérer qu’il dépasserait leur durée de vie.

Outre ce risque de seconde vague de vMCJ, une autre question peut être posée quant au diagnostic clinique de cette maladie chez un sujet hétérozygote (qui avait présenté les symptômes d’une MCJ sporadique) et la sous-estimation du nombre de vMCJ si des examens post mortem ne sont pas effectués pour exclure un cas de vMCJ.

 

[1] Au 1er février 2017
[2] Mok T. et al. Variant Creutzfeldt-Jakob Disease in a Patient with Heterozygosity at PRNP Codon 129. N Engl J Med 376;3 nejm.org January 19, 2017.
[3] La liste d’abats « spécifiés » interdits à la consommation humaine ne sera décrétée officiellement qu’en novembre 1989 pour l’Angleterre et le Pays de Galles puis le 30 janvier 1990 pour l’Ecosse et l’Irlande du Nord. Ces interdictions ont concerné plus tard les exportations d’abats vers la Communauté européenne (30 mars 1990), l’alimentation animale (25 septembre 1990) et les exportations vers les pays tiers (10 juillet 1991).