Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
Il s’agit d’un travail ayant fait l’objet d’une collaboration entre douze équipes de scientifiques chinois et américains dont celles du Dr Wen-Quan Zou (Case Western Reserve University School of Medicine) et du Dr Byron Caughey du NIH (National Institutes of Health). En premier lieu, ils ont démontré que des prions étaient présents dans la peau de 23 malades de la maladie de Creutzfeldt-Jakob ou MCJ (21 atteints de la forme sporadique MCJs et 2 variants ayant été contaminés par le prion bovin vMCJ), par comparaison avec 15 témoins négatifs décédés d’une autre maladie [1]. Puis ils ont inoculé par la voie intracérébrale des extraits cutanés ou cérébraux provenant de 2 malades à 12 souris humanisées. Ces souris ont toutes développé une encéphalopathie spongiforme, démontrant ainsi l’infectiosité du tissu cutané. Cependant, la période d’incubation chez les souris inoculées avec le tissu cutané a été de 400 jours, soit le double de celle observée chez les souris inoculées avec le tissu cérébral.
Dans cette étude, le test utilisé pour détecter le prion dans la peau correspond à une méthode d’amplification extrêmement sensible permettant de détecter des doses très faibles de prions, soit 1000 à 100 000 fois moins que dans le tissu cérébral. Il s’agit du test de conversion Real-Time Quaking-Induced Conversion (RT-QuIC). Ce test a été développé par Byron Caughey et son équipe du NIH dans le but de détecter une très faible quantité de prions dans certains échantillons comme, par exemple, le sang.
Ces résultats soulèvent plusieurs questions concernant les moyens de détection des prions et le risque de transmission de la MCJ par les tissus cutanés.
Tout d’abord, cette découverte permet de penser que la peau pourrait devenir un moyen de diagnostic spécifique non invasif de la MCJ chez le vivant (ou lors d’une autopsie). Actuellement, la biopsie cérébrale est l’unique moyen permettant de détecter les prions dans la MCJ classique (seuls les cas humains de vMCJ liés à l’ESB peuvent aussi permettre par une biopsie amygdalienne de découvrir le prion bovin). C’est pourquoi le diagnostic de confirmation est généralement obtenu après la mort du malade.
Comme le souligne Byron Caughey, l’extrême sensibilité du test qu’il a développé pourrait permettre dans l’avenir de détecter les prions dans le sang, les muqueuses nasales (par écouvillonnage) ou par biopsie cutanée.
Une autre question est celle du risque de transmission des prions lors d’une intervention chirurgicale impliquant le tissu cutané alors que, jusqu’à présent, seules les interventions concernant le système nerveux central et la cornée étaient connues pour ce risque. Il faut noter que les méthodes utilisées par les scientifiques dans cette étude montrent effectivement la possibilité d’une transmission par la peau mais il faut rappeler que la technique utilisée pour la reproduction expérimentale chez l’animal de laboratoire correspond à des conditions extrêmes non rencontrées en pratique courante : la voie intracérébrale est la technique la plus efficace pour reproduire la maladie avec une faible dose de prions ; il s’agissait de souris humanisées, porteuses du prion humain où il n’existait donc pas de barrière d’espèce avec les prions humains inoculés ; le temps d’incubation de 400 jours chez les souris inoculées avec le tissu cutané était le double de celui des souris ayant reçu du tissu cérébral. Les auteurs soulignent d’ailleurs qu’ils n’ont pas apporté la preuve d’une transmission possible dans une situation plus réelle lors d’une intervention chirurgicale impliquant la peau et qu’ils envisagent d’autres études pour confirmer ou non une telle possibilité de transmission des prions.
Interrogé par le Quotidien du médecin le 23 novembre, Byron Caughey indique « qu’il importe de souligner que [ces] résultats ne veulent absolument pas dire que la maladie de Creutzfeldt-Jakob pourrait être contagieuse par simple contact cutané ». Une autre question a concerné le risque lié aux greffes fécales, sachant que les prions peuvent être retrouvés dans le tissu intestinal et que l’on a montré chez plusieurs espèces animales qu’ils pouvaient être excrétés dans les fèces, avec un risque de contamination dans l’environnement par une exposition orale chez les ruminants. A cette question, Byron Caughey a répondu : « Je ne connais aucune donnée indiquant que les greffes fécales proprement dites peuvent transmettre la maladie. Je ne sais pas si cette possibilité est déjà explorée, mais il me semble qu’elle mériterait de l’être. »
En conclusion, cette étude montre la possibilité d’un test de détection extrêmement sensible et non invasif du prion humain dans le tissu cutané (mais pour une maladie incurable !), qui ne peut pas encore être utilisé en pratique courante. Par ailleurs, cette reproduction expérimentale de la maladie chez la souris a été réalisée dans des conditions extrêmes ne permettant pas de démontrer un risque de transmission par la voie cutanée des prions.