Alain Delacroix
Professeur honoraire, chaire « Chimie industrielle – Génie des procédés » du Conservatoire national des arts et métiers
Le paludisme ou malaria (mal’aria, mauvais air) ou encore fièvre des marais est une maladie infectieuse qui touche plus de deux cents millions de personnes dans le monde et en tue plus de quatre cent mille par an. En France métropolitaine, la malaria a sévi jusqu’aux années trente dans le Marais poitevin, la Brenne, les Landes et la Sologne, entre autres. Elle n’a été éradiquée de Corse qu’en 1973.
Le paludisme est une infection due à un parasite de type Plasmodium. Il en existe plus de cent espèces, parmi lesquelles le Plasmodium falciparum est le plus dangereux.
C’est en 1880 que le médecin militaire Charles Laveran (1845-1922) découvre ce parasite protozoaire responsable de la maladie et imagine qu’il est véhiculé par les moustiques. Il lui sera conféré le prix Nobel en 1907.
En 1897, le médecin anglais Ronald Ross prouve que c’est bien le moustique anophèle qui est le vecteur de la malaria, ce qui lui vaut, à lui aussi, le prix Nobel, en 1902.
Dès le début du XVIIe siècle, on a cherché à traiter cette maladie si dangereuse et c’est grâce à des observations fortuites en Amérique du Sud qu’on a commencé à trouver un remède. En effet, d’après un texte de Caldera de Heredia publié en 1663, les pères jésuites eurent l’idée d’utiliser la «poudre des fièvres» après avoir vu des Indiens, grelotant de froid après la traversée d’un torrent, prendre de l’écorce d’un arbre pour soulager leurs tremblements. Au début du XVIIe siècle, Augustino Salumbrino, un jésuite italien, crée une pharmacie à Lima pour alimenter tous les jésuites du pays en médicaments. Parmi ceux-ci se trouve de la poudre obtenue à partir de l’écorce d’un arbre, qui fait disparaître la fièvre.
A partir de 1630, les jésuites apportent à Rome cette écorce du Pérou, ou «écorce des jésuites», qui guérit les Romains – Rome est alors la ville la plus impaludée du monde et même les papes et les cardinaux en sont victimes. C’est un médecin génois, Sebastiano Bado, qui emploie le premier le terme de quinquina et vers 1650, l’écorce du Pérou devient la «poudre des jésuites».
Au XVIIe siècle, la posologie de cette poudre est mal définie car selon le type d’arbre, les écorces ne contiennent pas la même quantité de principe actif. L’effet est donc très variable, d’où une certaine défiance. De plus, les Anglais voient d’un mauvais œil ce médicament papiste. C’est pourtant un Anglais, Robert Talbor (1642-1681), qui trouve, auprès d’un apothicaire, une posologie pour soigner la fièvre sans trop d’effets secondaires et qui propose un remède, plus ou moins efficace. Il soigne alors à grand frais le roi Charles II d’Angleterre, puis vient en France soigner Louis XIV, le dauphin et de nombreux princes. Il faut dire qu’à l’époque, Versailles était encore en partie marécageux. Après la mort de Talbor, on s’apercevra que sa potion miraculeuse était constituée par de l’écorce de quinquina, dont le goût amer était masqué par du sirop.
A partir de la guérison de Louis XIV et du dauphin en 1686, le quinquina est largement utilisé dans le royaume et ses colonies. Cependant les sources d’écorces ne sont pas fiables car, comme on l’a vu, la concentration en principe actif diffère selon l’arbre et, de plus, on constate de nombreuses fraudes.
Le célèbre La Condamine va jouer un rôle important dans la description scientifique de l’arbre quinquina. De 1735 à 1743, il conduit une expédition au Pérou afin de mesurer un arc de méridien d’un degré. En janvier 1737, pour se rendre à Lima, La Condamine passe par une région censée posséder le meilleur quinquina. Il l’observe et distingue trois espèces : le blanc, le jaune et le rouge, et fait de nombreuses descriptions : le lieu où pousse l’arbre, la récolte de l’écorce, etc. Le 29 mai 1737, La Condamine fait parvenir à Paris son mémoire intitulé Sur l’arbre du quinquina, qui sera lu à l’Académie et publié en 1738.
Sur la base des travaux de La Condamine, Carl von Linné crée un genre nouveau, Cinchona, et une nouvelle espèce, Cinchona officinalis, qu’il décrit en 1753 dans le Species plantarum. De nombreuses expéditions ont lieu, dont celles de Joseph de Jussieu en 1739 et de Hugh Algernon Weddell de 1843 à 1848. Ce dernier distinguera dix-neuf espèces d’arbres.
Après la découverte de la quinine en 1820 par Pelletier et Caventou, on va pouvoir rechercher les arbres qui contiennent le plus de quinine, en particulier les jaunes et les rouges. La demande en quinine devient si forte que l’arbre est surexploité en Amérique du Sud et devient rare.
Les Anglais vont développer la culture du quinquina en Inde et au Sri Lanka puis vont se faire supplanter par les Hollandais à Java avec le quinquina jaune. Pendant la seconde guerre mondiale, les nazis détruisent les stocks de quinquina en bombardant Amsterdam et les Japonais envahissent Java. Les alliés exploitent alors les plantations des colonies françaises et belges et les Américains développent la culture en Amérique latine. Mais la demande est trop forte et les Allemands, avec la guerre, en sont vite privés.
Compte tenu des difficultés d’approvisionnement, de la toxicité de la quinine et de son action uniquement contre les formes intra-érythrocytaires de la malaria, les chimistes vont rechercher et trouver de nouvelles molécules actives. Après la guerre, cette concurrence a fait baisser largement les prix mais la production est toujours importante. En effet, certains plasmodiums deviennent résistants aux nouveaux traitements et, plus curieusement, on ajoute toujours de la quinine dans certaines boisson, Canada Dry et Schweppes Indian Tonic, par exemple. Ce sont les colons anglais en Inde qui, pour masquer le goût amer de la quinine, utilisée contre le paludisme local, la mélangeaient avec des eaux gazeuses, du sucre et du gin. Les sodas actuels dit «tonic» peuvent contenir jusqu’à 100 mg par litre de quinine, ce qui leur donne le goût amer. Cette utilisation représente environ 60% de la consommation, le reste servant toujours au traitement contre la malaria.