Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, ancienne présidente de l’Académie vétérinaire de France
Le 20 septembre dernier, l’Académie nationale de médecine a dédié une séance à la maladie de Lyme, infection due à un spirochète du genre Borrelia dont il existe plusieurs espèces regroupées sous le complexe Borrelia burgdorferi sensu lato. Ce germe, transmis par la morsure de tiques du genre Ixodes (I. ricinus en Europe de l’Ouest), n’a été décrit qu’en 1982 par Willy Burgdorfer. Les différents aspects cliniques de cette maladie très protéiforme touchant plusieurs organes (peau, système nerveux, articulations, cœur) peuvent expliquer les difficultés de son diagnostic comme autrefois c’était le cas pour la syphilis. De plus, les tests de diagnostic ne sont pas toujours satisfaisants pour confirmer une suspicion clinique. Une mise au point scientifique s’avérait nécessaire dans ce contexte polémique sur la maladie de Lyme et les co-infections pouvant être transmises par les tiques.
Patrick Choutet (Institut national de médecine agricole) rappela très bien ce contexte où la maladie de Lyme peut être simple à reconnaître mais parfois beaucoup plus complexe.
François Bricaire (Académie nationale de médecine) considère que l’on peut avoir une « vision classique, orthodoxe de la maladie de Lyme face à une vision plus large mais incertaine ».
Ainsi, le premier conférencier, Daniel Christmann (Service des maladies infectieuses et tropicales, hôpitaux universitaires de Strasbourg) rappela comment poser un diagnostic de maladie de Lyme, caractérisée par trois phases cliniques. La première phase correspond à l’atteinte initiale qui fait suite à la contamination par la piqûre (ou morsure) d’une tique infectée. La lésion cutanée, pathognomonique, est l’érythème chronique migrant (ECM) mais elle peut passer inaperçue. La sérologie est à ce stade souvent négative, situation qui pourrait être à l’origine d’un retard à la prise en charge thérapeutique. En l’absence d’un traitement, les germes présents dans la peau peuvent se disséminer, provoquant une bactériémie (dans 25 à 50% des cas), caractérisée par une hyperthermie discrète, des céphalées et/ou des arthralgies. La phase secondaire va se traduire par des manifestations cliniques variées où prédominent les atteintes neurologiques (70 à 80%) et articulaires (50%) en Europe, un à deux mois après la contamination initiale. Les atteintes neurologiques sont variées : méningo-encéphalite (troubles de la mémoire, modification du comportement, dépression, accident ischémique cérébral, etc.), atteinte des nerfs périphériques ou des nerfs crâniens (paralysie du nerf facial notamment). Les arthrites sont moins connues en Europe qu’aux Etats-Unis (sous-estimation ?). Une atteinte cardiaque est possible dans 10% des cas, de même qu’une atteinte musculaire (crampes, myalgies, faiblesse musculaire). Parfois, et plutôt chez l’enfant, on observe un lymphocytome cutané bénin borrélien, le plus souvent localisé au lobule de l’oreille.
La maladie de Lyme reconnaît aussi une phase tertiaire se manifestant 3 à 5 ans après la contamination. Cette phase tertiaire correspond en fait à une évolution chronique où prédominent les atteintes neurologiques et articulaires. L’atteinte de l’encéphale est plus polymorphe, rappelant les tableaux neurologiques plus classiques de sclérose en plaques ou de sclérose latérale amyotrophique. La piqûre de tique n’étant observée que dans la moitié des cas, il est parfois bien difficile de reconnaître une maladie de Lyme, en particulier quand il ne s’agit pas d’une forme classique.
Le Pr Benoît Jaulhac (CNR des Borrelia-Borreliella et EA 7290, faculté de médecine et hôpitaux universitaires de Strasbourg) a présenté les difficultés du diagnostic de la maladie de Lyme, où les tests biologiques, principalement basés sur la sérologie, sont essentiels, à l’exception de l’érythème migrant dont le diagnostic reste clinique. Il a rappelé qu’une enquête épidémiologique menée en Alsace en 2010 avait révélé un taux d’incidence relativement élevé, oscillant entre 160 et 200 cas pour 100 000 habitants (alors qu’au niveau national, l’incidence indiquée en 2009 par le réseau sentinelle est de 40 à 50 cas pour 100 000 habitants, l’Est et le Centre de la France étant les plus touchés).
La présentation de Christian Perronne (infectiologie, hôpital de Garches), consacrée à la sémiologie persistante polymorphe après une piqûre de tique permettant de suspecter la maladie de Lyme a retenu l’attention du public. Tout n’est pas Lyme mais il faut reconnaître qu’il peut y avoir des formes persistantes pouvant être qualifiées de « formes chroniques » (correspondant vraisemblablement aux « formes tertiaires » des conférenciers précédents). Il ne faut pas oublier que les tiques peuvent être aussi porteuses d’autres agents pathogènes et la possibilité de co-infections, pour lesquelles il n’y a pas de test de diagnostic disponible en routine, complique le problème du diagnostic d’une maladie de Lyme. Le Pr Perronne a aussi souligné la complexité de la standardisation des tests de diagnostic et de l’interprétation des résultats positifs et/ou négatifs selon qu’il s’agit d’une PCR, d’un western blot et/ou d’un examen sérologique. Une recherche fondamentale s’avère indispensable face aux résultats contradictoires concernant le traitement anti-infectieux de la forme chronique de la maladie de Lyme. De même, des études cliniques sont nécessaires pour évaluer les meilleurs médicaments efficaces pour le traitement d’entretien en cas de symptomatologie persistante.
Enfin, Muriel Vayssier (INRA, UMR BIPAR, Anses, École nationale vétérinaire d’Alfort) a présenté les différents agents pathogènes (Borrelia spp., Anaplasma phagocytophylum, Bartonella henselae, etc.) que les tiques sont susceptibles de transmettre avec la possibilité de co-infections et « l’augmentation du risque de multiplication de ces vecteurs liée à la douceur hivernale, à l’augmentation du réservoir sauvage en zone forestière et à la diminution des prédateurs se nourrissant de leurs larves ». Elle a aussi rappelé la découverte récente d’une fièvre hémorragique de Crimée-Congo autochtone mortelle en Espagne, le Nairovirus responsable étant transmis par une tique (Hyalomma marginatum) que l’on peut retrouver aussi dans le sud de la France. Enfin, elle a souligné les difficultés de la lutte contre les maladies vectorielles en citant à juste titre le Pr Agustin Estrada-Pena : « Quand comprendrons-nous que nous ne pouvons éradiquer les tiques et les agents pathogènes qu’elles transmettent ? En revanche, nous devons informer, nous protéger et nous adapter. »
Le Pr Bricaire a conclu que la maladie de Lyme était « une maladie de pays riche, en Europe et aux États-Unis ». Ses conclusions ont été reprises dans la prise de position publiée ultérieurement par l’Académie nationale de médecine, en particulier au sujet « des controverses concernant la « Lyme chronique », ce qui correspond à une phase tardive et qu’il vaut mieux rapprocher des phases tertiaires de l’infection ». Ainsi « la maladie de Lyme pourrait être une mauvaise réponse à une question légitime de malades qui souffrent, insatisfaits par la prise en charge de leurs troubles, qui veulent être écoutés et auxquels il serait donné de faux espoirs. Il importe de progresser en proposant : la poursuite des recherches sur la responsabilité d’autres agents infectieux ; la mise au point et l’amélioration des différents tests de diagnostic ; surtout la mise en place de protocoles thérapeutiques contrôlés, s’appuyant sur des choix rationalisés de molécules, versus placebo, avec des malades volontaires sélectionnés pour constituer des groupes homogènes et comparables. Cette démarche difficile, longue, est à la fois raisonnable et éthique ».
Quelques jours plus tard (le 29 septembre), le ministère de la Santé a annoncé le lancement d’un plan national de lutte contre la maladie de Lyme et autres maladies à tiques. Ce plan propose aux malades et aux médecins concernés de participer ensemble à l’élaboration d’un protocole de diagnostic et de soins. Ce plan devrait permettre d’éviter les errances que connaissent certains malades allant jusqu’en Allemagne pour se faire confirmer un diagnostic ou, inversement, permettre un diagnostic différentiel démontrant que la piqûre de tique n’est pas obligatoirement en cause dans le syndrome observé.
Les associations de malades avaient souvent montré avec le temps que leur maladie n’était pas imaginaire et qu’il existait parfois une affection bien réelle et non diagnostiquée par certains médecins n’ayant pas eu la formation nécessaire pour reconnaître une maladie de Lyme ou une autre infection transmise par une piqûre de tique. Le plan du Gouvernement propose d’améliorer les tests de diagnostic (évaluation des kits déjà disponibles, développement de nouveaux outils de dépistage, en particulier pour les autres microbes que Borrelia). On peut d’ailleurs noter l’avance de la médecine vétérinaire sur la médecine humaine, notamment si l’on se rappelle le travail précurseur d’un vétérinaire en Bretagne, Guy Joncour qui a su convaincre ses confrères de l’intérêt de détecter une zoonose, l’ehrlichiose granulocytaire bovine (due à Anaplasma phagocytophilum), dès le début des années deux mille. Alors que la maladie humaine est vraisemblablement sous-estimée en France, elle est émergente chez l’Homme depuis les années quatre-vingt dix aux Etats-Unis.
En conclusion, il importe prévenir ces maladies émergentes (« Mieux vaut prévenir que mal diagnostiquer et mal guérir » selon notre confrère Patrick Bourdeau, de l’Ecole nationale vétérinaire de Nantes, dénommée Oniris). Il faut surtout sensibiliser les personnes à la prévention des piqûres (ou morsures) de tiques et contrôler la population de ces vecteurs (affiches, contrôles après promenades en zone dangereuse, limiter le réservoir des animaux sauvages pouvant héberger des tiques, etc.).
Il importe aussi de savoir mieux diagnostiquer ces maladies pour les combattre efficacement chez la personne infectée, qu’il s’agisse d’une infection primaire ou de formes cliniques plus complexes liées à une co-infection et/ou à une évolution chronique.
Comme l’a rappelé Muriel Vayssier, l’Agence nationale de la recherche (ANR) vient de financer un projet de recherche collaboratif entre chercheurs en santé animale, humaine et en écologie, médecins et vétérinaires. Les connaissances sur ces maladies devraient donc être renforcées dans le futur.