Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Le premier article, publié dans The Lancet, est celui de scientifiques chinois qui soulignent l’importance de découvrir l’origine du SARS-CoV-2 pour la prévention d’une pandémie [1]
Historiquement, l’émergence des maladies infectieuses chez l’Homme a souvent été liée à une faille dans la barrière d’espèce profitant à des agents pathogènes d’origine animale. Une origine naturelle du SARS-CoV-2 est de loin le scénario le plus probable. Mais on n’a pas pu le confirmer, ce qui explique les différentes hypothèses évoquées à propos de son origine. Bien que la souche RaTG13, présente dans le laboratoire de virologie de Wuhan depuis 2013, soit très proche de ce virus, elle en est suffisamment éloignée pour conclure qu’elle joue un rôle dans l’origine du SARS-CoV-2, notamment par échappement de ce laboratoire.
L’étude du SARS-CoV-2 circulant indique que la structure de son génome rappelle beaucoup les souches hébergées par des animaux sauvages, notamment chez des chauves-souris étudiées au Cambodge, en Thaïlande, au Japon, dans les zones frontalières du sud-ouest de la Chine, ainsi qu’en Malaisie chez des pangolins capturés dans les zones de contrebande. Mais on n’a pas encore identifié le SARS-CoV-2 chez un animal alors que l’on sait maintenant que ce virus peut infecter de nombreuses espèces de mammifères (visons, civettes, chats, pangolins, lapins, furets, renards, cerfs, etc.).
Des virus de la famille du SARS-CoV-2 peuvent donc franchir la barrière d’espèce. Il est certain que cela se soit produit à de nombreuses reprises mais avec des échecs et sans provoquer obligatoirement une épidémie.
Les auteurs rappellent que ce n’est pas parce que la maladie a été identifiée à Wuhan qu’il s’agit du lieu géographique à l’origine du SARS-CoV-2. Enfin, ils soulignent l’importance d’étudier les possibilités d’hôtes intermédiaires potentiels du virus sur une plus grande variété d’espèces animales dans le monde.
Le second article correspond à une étude franco-laotienne (Instituts Pasteur de Paris et du Laos) en cours d’évaluation par la revue Nature [2]
Les chercheurs de l’Institut Pasteur du Laos rapportent l’identification de trois coronavirus isolés en 2020 chez des chauves-souris fer à cheval (Rhinolophus) dans le nord du Laos, qui se révèlent plus proches du SARS-CoV-2 que la souche chinoise RaTG13 isolée en 2013 dans une mine de cuivre du Yunnan au sud-ouest de la Chine. Cette étude a concerné 645 chauves-souris, dont 539 prélèvements de fèces en vue de la recherche d’un ARN viral. Les trois virus ayant présenté une homologie avec le SARS-CoV-2 ont été dénommés BANAL (bat pour chauve-souris en anglais et anal car les virus ont été isolés à partir de prélèvements rectaux). Il s’agit des virus BANAL-52 BANAL-103 et BANAL-236, respectivement isolés chez R. malayanus, R. pusillus et R. marshalli.
Depuis le SRAS en 2003 puis surtout la Covid-19, les études concernant les SARS-related coronavirus (SARSr-CoV) hébergés par les chauves-souris se sont multipliées, en particulier pour rechercher des virus proches du SARS-CoV-2, principalement en Chine mais aussi au Japon, au Cambodge, en Thaïlande et au Laos. Cette recherche s’avère essentielle pour déterminer l’origine de la Covid-19 et éviter de nouvelles épidémies.
Le choix du site dans le nord du Laos par des chercheurs de l’Institut Pasteur se justifie du fait qu’il s’agit d’une région proche du Yunnan (rappelons que la souche RaTG13 a été isolée dans une ancienne mine à la suite d’une étude ayant concerné six cas de pneumonies humaines suspectes car semblables à la Covid-19) chez des personnes étant entrées dans cette mine pour y nettoyer les déjections de chauves-souris. Le foyer d’origine du SARS-CoV-2 pourrait être apparu dans cette région située autour du Mékong. Il s’agit de la région du Triangle d’or, région montagneuse d’Asie du Sud-Est, aux confins du Laos, de la Birmanie et de la Thaïlande, mais aussi pour certains également une partie du Vietnam et le Yunnan chinois. Dans cette région, de nombreux animaux sauvages sont commercialisés sur les marchés de village traditionnels, où les règles d’hygiène sont négligées. Or le commerce d’espèces sauvages vivantes ainsi que les personnes fréquentant les grottes (chasse de chauves-souris, récolte de guano, tourisme…) favorisent l’exposition à la transmission zoonotique d’un coronavirus.
Les chercheurs ont logiquement comparé les trois virus «BANAL» à la souche RaTG13 considérée comme la plus proche du SARS-CoV-2 du fait de 96,2% d’homologie avec le génome de ce virus. Or le virus BANAL-52 s’avérait pour la première fois encore plus proche, avec 96,85% d’homologie. Mais il fallait aussi comparer les possibilités d’interaction entre le virus et la cellule hôte. Rappelons que la glycoprotéine de surface S (spicule ou spike) du virus s’attache à la cellule hôte grâce à l’interaction entre le receptor binding domain (RBD) de cette protéine S et l’angiotensin-converting enzyme 2 (ACE2), un récepteur situé à la surface de la membrane cellulaire de l’hôte. La fusion membranaire ainsi obtenue permet l’entrée du virus dans la cellule. Or le RBD de la souche RaTG13 ne présente qu’une faible affinité de liaison avec l’ACE2 humain (11 sur les 17 acides aminés dans la souche RaTG13 peuvent interagir avec l’ACE2 humain). Dans le cas du coronavirus BANAL-52, 16 acides aminés sur 17 interagissent avec l’ACE2 humain.
Mais ce virus BANAL-52 ne peut être considéré comme un ancêtre de la souche pandémique du SARS-CoV-2, même si, selon les chercheurs, ce virus semble avoir le même potentiel d’infecter les humains que les premières souches de SARS-CoV-2. Il faut aussi noter que ces virus sont dépourvus d’une séquence particulière, dénommée «site de clivage de la furine», que possède en revanche le SARS-CoV-2 et qui joue un rôle majeur dans la fusion entre les membranes virale et cellulaire, ainsi que dans la transmission du virus.
Cette étude souligne le rôle probable joué par les chauves-souris et peut-être d’autres animaux vivant en étroite collaboration avec celles-ci, mais montre également les «risques inhérents au commerce d’animaux sauvages vivants». Elle confirme aussi la nature diversifiée attendue des chauves-souris infectant les coronavirus et augmente les preuves de la possibilité d’événements naturels de risque de transmissions zoonotiques des chauves-souris aux humains. Il y aurait eu une recombinaison entre différents virus plutôt qu’une simple évolution d’une seule lignée sur une longue période.
Mais on ignore toujours où ces recombinaisons génétiques entre les souches de chauves-souris ont pu avoir lieu, de même que les circonstances qui ont permis le franchissement de la barrière d’espèce de la chauve-souris à l’Homme, par l’intermédiaire ou non d’un hôte intermédiaire.
Le troisième article, en prépublication, concerne une stratégie pour évaluer le risque de débordement des coronavirus liés au SRAS des chauves-souris en Asie du Sud-Est [3]
Les auteurs appartenant à EcoHealth Alliance ont essayé de quantifier le risque zoonotique lié aux SARSr-CoVs en Chine et en Asie du Sud et du Sud-Ouest, considérées comme les points chauds potentiels pour les infections humaines. Ils considèrent qu’il y a une sous-estimation des risques d’exposition de l’Homme à ces virus.
Ils ont identifié 23 espèces de chauves-souris pouvant héberger des SARSr-CoVs, en particulier des Rhinolophidae et des Hipposideridae, l’espèce Rhinolophus affinis étant la plus fréquente. Les pays concernés ont été le Laos, le Cambodge, la Birmanie (Myanmar), le sud-est de la Chine et les îles à l’ouest de l’Indonésie, soit 478 millions de personnes sur 4,5 millions de km2. Après une étude sur le terrain et une recherche bibliographique permettant d’évaluer les risques de contact entre l’Homme et les chauves-souris, les auteurs aboutissent à un risque de coronavirose pour 407 422 personnes chaque année. Il est vraisemblable qu’un nouveau foyer d’infection lié à un SARSr-CoV apparaissant régulièrement dans ces régions n’est pas obligatoirement rapporté pour expliquer cette sous-estimation du fait du manque d’une surveillance systématique. Par exemple, la surveillance des encéphalites causées par le virus Nipah mise en place dans les cliniques au Bangladesh a permis d’observer des épidémies avec un taux de mortalité d’environ 70% alors que cette maladie n’y avait été décrite que récemment. Il est probable qu’un agriculteur du Myanmar n’ira pas consulter dans une clinique s’il tousse un peu. Il peut s’agir aussi de cas limités à une zone géographique isolée. Enfin, les symptômes peuvent être bénins sans évolution vers une épidémie importante.
Les auteurs soulignent aussi les données manquantes concernant les animaux hôtes intermédiaires (ou amplificateurs) pouvant jouer un rôle dans le franchissement de la barrière d’espèce de ces SARSr-CoVs. On connaît le rôle que peuvent avoir joué les civettes dans l’émergence du SRAS. Mais on ne sait toujours rien sur les hôtes intermédiaires ou amplificateurs du SARS-CoV-2 (civettes ?, pangolins ?…). Cependant on connaît la forte sensibilité à ce virus des visons et des chiens viverrins élevés en grande quantité en Chine pour leur fourrure, qui pourraient jouer un rôle de transmetteur comme on l’a constaté en Europe pour les visons d’élevage.
Pour estimer le risque réel au SARS-CoV-2, une enquête concernant les espèces animales réservoirs (chauves-souris) ou sensibles (animaux sauvages et hôtes intermédiaires potentiels, élevés et commercialisés sur les marchés chaque année) ainsi que le risque de forte exposition de l’Homme à ces espèces animales pouvant être réservoirs du SARS-CoV-2 est nécessaire dans ces zones géographiques.
Le dernier article, publié dans Cell, concerne les origines du SARS-CoV-2 [4]
Cet article souligne l’intérêt de comprendre l’origine de l’émergence du SARS-CoV-2 face à deux hypothèses : un virus échappé d’un laboratoire ou une émergence zoonotique. Pour la majorité des scientifiques, il s’agit d’un événement zoonotique par comparaison avec les précédentes épidémies de coronavirus associées au marché des animaux vivants. La recherche des contacts du SARS-CoV-2 sur les marchés de Wuhan présente des similitudes frappantes avec la propagation précoce du SARS-CoV sur les marchés du Guangdong, où les humains infectés au début de l’épidémie vivaient à proximité ou travaillaient sur des marchés d’animaux.
Il n’y a actuellement aucune preuve que le SARS-CoV-2 ait pour origine une fuite provenant d’un laboratoire. Il s’agit d’une coïncidence car le virus a été détecté pour la première fois dans une ville qui abrite un grand laboratoire virologique qui étudie les coronavirus. Wuhan est la plus grande ville du centre de la Chine, avec plusieurs marchés d’animaux, et est une plaque tournante majeure pour les voyages et le commerce, bien connectée à d’autres régions, à la fois en Chine et à l’étranger. Le lien avec Wuhan reflète donc plus vraisemblablement le fait que les agents pathogènes nécessitent souvent des zones fortement peuplées pour s’établir.
Bien que le réservoir animal du SARS-CoV-2 n’ait pas été identifié et que les espèces clés n’aient peut-être pas été découvertes contrairement à d’autres scénarios, il existe un ensemble de preuves scientifiques soutenant une origine zoonotique. Bien que la possibilité d’un accident de laboratoire ne puisse être entièrement écartée, cette voie d’émergence est hautement improbable par rapport aux nombreux contacts répétés entre l’homme et l’animal qui se produisent régulièrement dans le commerce des espèces sauvages.
Conclusion sur ces quatre articles
Ils ne font que confirmer les alertes de certains scientifiques que nous avions constatées après le SRAS et, avant 2019, à propos des SARSr-CoVs, pour exemple celle ci-dessous datant de 2015 :
NOUVEAU CORONAVIRUS SIMILAIRE À SARS-CoV ?
Nombreux coronavirus isolés chez la chauve-souris
Dr Ralph Baric (université de Caroline du Nord) :
Mise en garde très récente contre un nouveau coronavirus SHC014-CoV isolé chez la chauve-souris, qui se réplique comme le virus SARS-CoV dans des cellules primaires de poumon humain.
Transmission interhumaine ?
Parmi les très nombreux coronavirus dans les populations de chauves-souris, certains d’entre eux ont le potentiel à émerger comme des agents pathogènes humains.
ON NE SAIT SI CERTAINS DE CES CORONAVIRUS SERONT À L’ORIGINE D’UNE NOUVELLE ÉPIDÉMIE MAIS LES VIROLOGISTES SOULIGNENT QU’IL FAUT PRÉVOIR QUAND ET COMMENT S’Y PRÉPARER POUR Y FAIRE FACE.
Menachery et al. Nature Med, nov. 2015
Nous ne sommes donc pas à l’abri de nouvelles souches émergentes de SARSr-CoVs, qu’il convient de surveiller dans les «points chauds», comme c’est le cas pour les virus grippaux.
[2] Temmam S, Vongphayloth K, Salazar EB, Munier S, Bonomi M, Régnault B, et al. Coronaviruses with a SARS-CoV-2-like receptor-binding domain allowing ACE2-mediated entry into human cells isolated from bats of Indochinese peninsula [Internet]. In Review; 2021 sept [cité 21 sept 2021]. Disponible sur: https://www.researchsquare.com/article/rs-871965/v1.
[3] Sánchez CA, Li H, Phelps KL, Zambrana-Torrelio C, Wang L-F, Olival KJ, et al. A strategy to assess spillover risk of bat SARS-related coronaviruses in Southeast Asia [Internet]. Epidemiology; 2021 sept [cité 16 sept 2021]. Disponible sur: http://medrxiv.org/lookup/doi/10.1101/2021.09.09.21263359.
[4] Holmes EC, Goldstein SA, Rasmussen AL, Robertson DL, Crits-Christoph A, Wertheim JO, et al. The origins of SARS-CoV-2: A critical review. Cell. 16 sept 2021;184(19):4848‑56.