Alain Foucault
Professeur émérite du Muséum national d’histoire naturelle (Paris)
Le GIEC (Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat) a été créé en 1988 par l’Organisation météorologique mondiale (OMM) et le Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE). Il a pour mission d’évaluer, sans parti pris et de façon méthodique, claire et objective, les informations d’ordre scientifique, technique et socio-économique qui nous sont nécessaires pour mieux comprendre les fondements scientifiques des risques liés au changement climatique d’origine humaine, et en cerner plus précisément les conséquences.
Il publie périodiquement des rapports concernant ce changement climatique. Depuis sa création, il a publié cinq rapports principaux, auxquels il convient d’ajouter quinze rapports spéciaux et une vingtaine de rapports divers sur des problèmes spéciaux ou méthodologiques. L’ensemble totalise des milliers de pages dont le contenu exige, pour être assimilé, des connaissances suffisantes. Même les résumés pour les décideurs, que le GIEC a annexés à ces rapports, ne sont pas de lecture aisée.
Pourtant le message qu’il nous transmet est simple : depuis le début de l’ère industrielle (disons 1850), la température moyenne au sol s’est élevée de près de 1°C. La cause de cette élévation est l’émission dans l’atmosphère, du fait de nos activités, de gaz à effet de serre, majoritairement dioxyde de carbone (CO2) et méthane (CH4). Si nous continuons ces émissions, la température continuera d’augmenter, avec des conséquences importantes sur notre environnement et nos conditions d’existence.
Voilà près de 30 ans que le GIEC a publié son premier rapport et, depuis, il ne cesse de préciser son message et d’en détailler les conséquences. Ces conséquences sont majoritairement néfastes, ce qui a ému l’opinion publique. De nombreuses réunions internationales ont été tenues pour examiner le problème et notamment celles que l’on désigne sous le sigle de COP, ce qui signifie « Conférence des parties à la convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques ». Elles se tiennent tous les ans depuis 1979.
La conférence qui a eu lieu en 2015, la COP 21, doit être spécialement retenue parce qu’elle s’est conclue par l’Accord de Paris prévoyant de limiter l’augmentation de la température par rapport à l’ère préindustrielle à 2°C, voire à 1,5°C. A la suite de cet accord, il a été demandé au GIEC de se pencher plus particulièrement sur une augmentation possible de 1,5°C, d’en envisager les modalités et les diverses conséquences. On peut s’interroger sur le fait que la demande n’ait pas été faite aussi pour une augmentation de 2°C, qui n’est pas irréaliste, peut-être pour ne pas affoler les populations, mais le GIEC a, de lui-même, dépassant sa mission, abordé cette possibilité.
Toujours est-il que le rapport spécial du GIEC qui répond à cette demande a été publié le 6 octobre 2018. On le trouvera sur Internet à l’adresse www.ipcc.ch. Il comprend 695 pages, auxquelles il y a lieu d’ajouter quelques annexes. Comme toutes les publications du GIEC, sa lecture est aride. Il est précédé d’un résumé pour les décideurs, dont on peut se demander s’ils auront le courage de le lire en détail.
Le rapport lui-même est divisé en cinq chapitres :
- 1 : cadre et contexte
- 2 : voies d’atténuation compatibles avec une température de 1,5°C dans le contexte d’un développement durable
- 3 : impact d’un réchauffement planétaire de 1,5°C sur les systèmes naturels et humains
- 4 : renforcement et mise en œuvre de la réponse mondiale
- 5 : développement durable, éradication de la pauvreté et réduction des inégalités
Dans l’ensemble, on ne peut pas dire qu’il apporte beaucoup de nouveautés par rapport à ce que le GIEC avait déjà publié. Mais l’exposé qui est fait, se concentrant surtout sur le réchauffement de 1,5°C, aide à mieux comprendre ce qui se passerait dans ce cas : une quantité de détails sont précisés. Il y est confirmé que les effets du réchauffement global se font déjà sentir sur les écosystèmes terrestres ou océaniques. Ces phénomènes seraient accentués si le réchauffement atteignait 1,5°C, et davantage s’il atteignait 2°C. A noter que les températures sur terre augmenteraient davantage que celles sur mer, dépassant alors les moyennes de 1,5°C ou 2°C.
Ces effets se manifestent très diversement selon les régions. Par exemple, si l’on prend en compte les saisons ayant localement subi les plus forts réchauffements, on voit que de vastes surfaces de l’Inde et de la Chine ont déjà largement dépassé 1,5°C et même parfois 2°C. Santé, moyens de subsistance, sécurité alimentaire, approvisionnement en eau nouveau, sécurité humaine seraient affectés par le changement climatique.
Quelles que soient les mesures prises pour contrer ce changement, il apparaît que les effets des émissions de gaz à effet de serre déjà réalisés persisteront pendant des siècles, voire des millénaires. Parmi eux, on peut noter un renforcement des précipitations ou des sécheresses dans certaines régions.
Il est envisagé des possibilités d’adaptation : restauration des écosystèmes, reforestation, gestion de la biodiversité, aquaculture durable, aménagement côtier, gestion des catastrophes, gestion de l’eau, etc. ; mais pour ne pas dépasser une augmentation de 1,5°C, il faudrait que les émissions de dioxyde de carbone anthropiques diminuent de 45% d’ici 2040 par rapport à 2010, pour atteindre zéro en 2050. Pour se limiter à 2°C, ces chiffres devraient être respectivement 20% et 2075. Celles imputables à l’industrie devraient être inférieures de 75% à 90% en 2050 par rapport à 2010.
Ces réductions nécessitent des transitions rapides et profondes en énergie, usage des terres, tissu urbain, infrastructures (dont transport et bâtiments) et systèmes industriels. C’est techniquement possible mais pas forcément socialement acceptable. Les systèmes urbains et les infrastructures sont susceptibles de quantités d’amélioration pour limiter le réchauffement si l’on s’affranchit de nombreuses barrières économiques, institutionnelles et culturelles.
Le GIEC met l’accent sur les rapports entre la lutte contre le réchauffement climatique et la réalisation d’un développement durable. Pour lui, ces deux préoccupations vont de pair, à condition d’éviter les conflits entre ces actions et de rechercher plutôt leurs synergies. Dans le même esprit, il souligne que les changements climatiques pourraient avoir un impact significatif sur l’extrême pauvreté, exacerbant les inégalités, en particulier pour les personnes défavorisées par le sexe, l’âge, la race, la classe sociale, la caste et les incapacités. Toutes leurs conséquences négatives affecteraient au premier chef les populations défavorisées, notamment celles des régions arctiques, des zones arides et des petits Etats insulaires.
Le rapport dit peu en matière de coût, soulignant seulement que plus on tarde à prendre des mesures, plus il sera élevé. Si l’on veut en savoir davantage, il faut se référer à un article publié récemment et que le rapport n’a pas pu prendre en compte (Country-level social cost of carbon. K. Ricke, L. Drouet, K. Caldeira & M. Tavoni. Nature Climate Change. Vol. 8, p. 895-900. 2018). Cet article évalue ce que coûte, comme dommages aux sociétés, l’émission de dioxyde de carbone (CO2) dans l’atmosphère. Ainsi, il évalue leur coût total à 417 dollars par tonne de CO2 émise (avec de larges marges d’erreur). Il va plus loin en détaillant ce coût en fonction des pays, et ce coût est très variable. Pour l’Inde, il est de 86 dollars par tonne de CO2 (soit 21% du coût total), pour les Etats-Unis, de 48 dollars (11% du total), pour la Chine, de 24 dollars. En face de ces perdants, il y a des gagnants : le nord de l’Europe, le Canada et l’ancienne Union soviétique. Mais gagnant ne signifie pas qu’il faut émettre davantage de CO2. Même dans ces pays, les perturbations régionales ne feront pas que des heureux !
A noter que ces évaluations dépassent de beaucoup ce qui était admis jusqu’à présent. Sur ces bases, comme on émet chaque année de l’ordre de 40 milliards de tonnes de CO2, cela nous coûterait globalement quelque 15 000 milliards de dollars.
Le GIEC reconnaît que « les changements sociétaux et systémiques fondamentaux pour parvenir à un développement durable, éliminer la pauvreté, réduire les inégalités, tout en limitant le réchauffement à 1,5°C, nécessiteraient de remplir un ensemble de mesures institutionnelles, sociales, de conditions culturelles, économiques et technologiques ». C’est bien la moindre des choses car ce que n’a pas envisagé le GIEC, c’est la faisabilité politique des mesures anti-réchauffement. Chacun peut se rendre compte qu’il y a là bien des difficultés…