Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Le 17 juin dernier, Emilie H. est morte de la maladie de Creutzfeldt-Jakob nouveau variant (vMCJ) à l’âge de 33 ans (c’est-à-dire de la maladie humaine due à l’agent de l’encéphalopathie spongiforme bovine). Même si l’hypothèse ne peut être exclue, il est difficile de lier ce décès à une contamination d’origine alimentaire car il n’y a plus de cas humains de vMCJ depuis plusieurs années en Europe. Il pourrait s’agir d’une contamination d’origine accidentelle en 2010 lorsque Emilie H. travaillait dans un laboratoire Inra de Jouy-en-Josas (son contrat a durée déterminée a commencé en 2009 pour se terminer en 2012). En effet, Emilie H., réalisant des coupes au cryostat concernant des souris transgéniques humanisées inoculées avec le vMCJ (où la barrière d’espèce n’existe pas dans ce cas), s’est blessée le 30 mai 2010 avec un outil potentiellement contaminé qui a provoqué une coupure avec saignement (les deux gants de latex qu’elle portait ne l’ont pas protégée). Prise en charge par téléphone avec une infirmière 15 mn plus tard, sa plaie est désinfectée avec de l’eau de Javel. Inquiète, Emilie déclare cet accident de travail.
Sept années plus tard, en novembre 2017, les premiers symptômes apparaissent mais sa maladie ne sera diagnostiquée qu’en avril 2019 par la Cellule nationale de référence des maladies de Creutzfeldt-Jakob de l’hôpital de la Pitié-Salpêtrière. Celle-ci, après avoir mené une enquête, aurait conclu que l’origine de la maladie est compatible avec «une contamination accidentelle en milieu professionnel», du fait notamment de «l’exposition professionnelle à un agent bovin et/ou à l’agent de la maladie de Creutzfeldt-Jakob». Ceci peut être effectivement possible du fait que les seuls cas de contamination par le sang ont été observés avec le prion du vMCJ avec des temps d’incubation comparables (4 cas répertoriés au Royaume-Uni, dont 3 chez des sujets homozygotes ayant présenté la maladie).
L’affaire a été révélée, vendredi 21 juin, par Mediapart (Pascale Pascariello) : selon leurs informations, l’époux d’Emilie et ses parents ont déposé plainte pour «homicide involontaire» et «mise en danger de la vie d’autrui». Cette plainte est en cours d’étude au parquet de Versailles. Interrogé par Mediapart, le ministère de l’Enseignement supérieur et de la Recherche explique qu’il vient de confier à l’Inspection générale de l’administration de l’Education nationale et de la Recherche ainsi qu’à l’Inspection santé et sécurité au travail une enquête nationale pour évaluer les mesures de sécurité des laboratoires de recherche sur les prions et vérifier, par ailleurs, dans quelles conditions est survenue la contamination d’Emilie à l’Inra.
Pour les avocats de la famille d’Emilie (Marc et Julien Bensimhon), toutes les précautions ont-elles été prises pour prévenir puis prendre en charge une éventuelle infection ? Quatre questions précises sont posées : la jeune femme avait-elle bénéficié de la formation nécessaire face au risque de contamination ? était-elle équipée des gants anti-coupures qui auraient pu prévenir l’accident ? le protocole qui impose une décontamination sur place et immédiate a-t-il été respecté ? l’Inra a-t-il veillé à la santé de la jeune femme après cet incident ?
Il est évident qu’un tel accident lié aux prions avec une contamination humaine est une première en France et dans le monde. Il amènera les laboratoires à revoir les mesures de biosécurité sur les agents pathogènes humains mortels pour lesquels il n’y a aucun traitement possible. Selon la réglementation sur la prévention des risques des travailleurs exposés à des agents biologiques pathogènes, les prions étaient classés parmi les plus dangereux (de niveau 3 sur une échelle croissante de 1 à 4). Ainsi, les travaux de recherche devaient être réalisés dans des laboratoires en milieu confiné de type P3.
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