Jeanne Brugère-Picoux
Professeur honoraire de pathologie médicale du bétail et des animaux de basse-cour (Ecole nationale vétérinaire d’Alfort), membre de l’Académie nationale de médecine, présidente honoraire de l’Académie vétérinaire de France
Depuis le 6 mai 2022, nous assistons à une émergence inhabituelle de cas humains sporadiques de la variole du singe dans plusieurs pays européens, en Amérique du Nord et en Australie alors qu’il s’agissait d’une maladie localisée à l’Afrique centrale et occidentale. La particularité de ces cas est que, en dehors du premier malade au Royaume-Uni de retour du Nigéria, il s’agit de cas autochtones n’ayant pas voyagé en Afrique. Alors que l’on reconnaît une origine zoonotique dans la plupart des cas africains, ces cas émergents sont liés à des contaminations interhumaines, souvent observées chez des hommes homosexuels ou bisexuels présentant des lésions cutanées génitales et au niveau du visage. C’est pourquoi une transmission sexuelle peut être suspectée. La transmission interhumaine est possible par le contact avec les fluides corporels, les lésions cutanées (dont les croûtes), l’environnement ou les objets contaminés par le malade. Il peut aussi s’agir d’une contamination d’origine nosocomiale.
Le nombre de ces cas autochtones émergents détectés depuis deux semaines a dépassé largement l’ensemble des cas importés par des voyageurs revenant du continent africain depuis 1970 puisque près d’une centaine de cas sont répertoriés au 22 mai 2022 (cf. encart). De nombreuses autorités sanitaires et l’OMS craignent une augmentation des cas rapportés pendant la période estivale (où les gens se rassemblent pour des festivals et des fêtes). en raison de la propagation silencieuse de ce virus variolique, apparu simultanément dans des régions géographiquement éloignées, chez des personnes sans lien apparent.
Seule une enquête épidémiologique complète nous permettra d’évaluer le risque lié à ce virus émergent hors de sa région géographique habituelle. Ce nouveau comportement viral peut être inquiétant, notamment si un risque zoonotique, non démontré à ce jour dans ces cas récents, ne peut être formellement exclu chez une espèce animale non africaine.
Au 23 mai 2022, la variole du singe a été identifiée sous une forme bénigne sans mortalité dans 15 pays avec près de 100 cas confirmés, et d’autres cas sont suspectés [1, 2, 3].
Europe :
- Espagne : 30 cas ; les autorités ont fermé un sauna dans la région de Madrid qui semble lié à plusieurs contaminations chez des hommes homosexuels ;
- France : un cas annoncé le 20 mai 2022 (homme de la région Ile-de-France n’ayant pas voyagé récemment) ;
- Belgique : 2 cas confirmés ayant participé à une même fête ;
- Allemagne : 1 cas rapporté ;
- Italie : 3 cas annoncés le 20 mai 2022 ;
- Pays-Bas : 1 cas ;
- Suède : 1 cas annoncé le 19 mai 2022 dans la région de Stockholm ;
- Portugal : 14 cas et 20 autres sous surveillance ;
- Royaume-Uni : d’abord 9 cas signalés depuis le 6 mai 2022 ; les autorités sanitaires anglaises ont annoncé 11 cas supplémentaires le 20 mai 2022 et craignent l’apparition de nouveaux cas et signalent que pour certains, il s’agit de contaminations chez des hommes homosexuels ou bisexuels ;
- Suisse : 1 cas observé le 22 mai 2022 chez une personne ayant été contaminée à l’étranger ;
- Grèce : un cas annoncé le 22 mai 2022 chez un touriste anglais.
Moyen-Orient :
- Israël : 1 cas a été annoncé le 22 mai 2022 chez un homme de 30 ans ayant eu un contact avec un malade à l’étranger.
Amérique du Nord :
- Canada : 2 cas signalés et 17 autres cas suspects à Montréal ;
- Etats-Unis : 1 cas dans l’Etat du Massachusetts signalé chez un homme qui avait récemment voyagé au Canada.
Pacifique :
- Australie : 2 cas probables chez des voyageurs en provenance d’Europe, à Melbourne (30 ans) et à Sydney (40 ans).
Découverte du virus de la variole du singe en 1958 puis de la variole simienne chez l’Homme en 1970 en Afrique
Le virus de la variole du singe a été découvert en 1958 chez des singes de laboratoire à Copenhague mais ce n’est qu’en 1970 qu’un premier cas humain a été décrit en République démocratique du Congo (RDC) chez un enfant âgé de 9 mois qui n’avait pas eu de contact démontré avec des singes [4]. Il est possible que cette infection ait été masquée avant 1970 dans ce pays africain du fait d’une confusion possible avec la variole humaine qui était encore endémique en Afrique. L’éradication de la variole humaine dans le monde avait été annoncée en 1977, ce qui a permis l’arrêt de la vaccination contre cette maladie.
Cette variole simienne ou monkeypox est différente de la variole humaine dans son tableau clinique observé après 6 à 13 jours d’incubation : une phase initiale non spécifique avec hyperthermie, adénopathie (absente dans la variole), myalgie, suivie d’une phase d’éruption cutanée (papules se transformant en vésicules puis en pustules évoluant vers une cicatrisation avec la formation de croûtes) sur le visage, les mains et différentes parties du corps.
Les cicatrices cutanées pouvant être observées sont moins graves que dans la variole humaine. La variole simienne ressemble aussi beaucoup à la varicelle, qui est plus contagieuse.
Le taux de létalité varie selon les deux souches virales connues : la souche Congo (ou souche d’Afrique centrale), la plus virulente, peut provoquer une mortalité de 10,6% alors que la souche d’Afrique occidentale est moins pathogène avec un taux de mortalité estimé de 3,6% [5]. La bonne nouvelle est que la souche isolée dans les cas actuels préoccupants serait la souche d’Afrique occidentale, ce qui explique les symptômes relativement bénins observés. Mais la mauvaise nouvelle est que ces cas bénins ne sont peut-être que la partie émergée d’un iceberg, pouvant faire craindre une sous-estimation du nombre de personnes infectées.
Maladie zoonotique virale émergente
Dès 1970, la variole du singe a été considérée comme une maladie virale émergente avec plusieurs épisodes en Afrique où, contrairement à la variole humaine, la contamination n’est pas uniquement interhumaine mais elle peut reconnaître une origine zoonotique (animal familier ou viande de brousse) du fait d’un portage souvent asymptomatique du virus variolique par de nombreux rongeurs, plus souvent en cause dans la transmission du virus à l’Homme que les primates non humains. Les espèces les plus souvent incriminées sont des écureuils africains, en particulier le genre Funisciurus, et le rat géant de Gambie (Cricetomys gambianus) [6, 7]. Ce poxvirus peut aussi contaminer de nombreuses espèces animales autres que des rongeurs ou des singes (hérisson, porc, éléphant, opossum…) [7]. Mais l’animal réservoir principal et définitif du virus n’a jamais été identifié en Afrique avec précision et l’on a jamais observé de transmission de l’Homme à l’animal [7].
Cette possibilité de transmission zoonotique a d’ailleurs été démontrée de façon spectaculaire en 2003 lors de l’importation de rats de Gambie dans les Etats du Midwest américain. Ces rats africains, apparemment sains, vendus comme nouveaux animaux de compagnie (NAC) ont pu contaminer dans l’animalerie des chiens de prairie, autres rongeurs NAC autochtones et qui furent les vecteurs secondaires d’une contamination humaine avec plus de 70 cas, dont plusieurs enfants. Ce fut la seule importante épidémie de variole simienne observée dans un pays non africain. Rappelons qu’en Europe nous avons connu en 2009 une autre épidémie due à un orthopoxvirus moins pathogène (le cowpox) avec des rats importés de Hongrie en tant que NAC.
Epidémiologie de la variole simienne
Au cours des années suivant sa première identification en Afrique, la variole du singe, qui n’était plus masquée par la variole (ou la vaccination), a été régulièrement observée en Afrique centrale et occidentale.
Identifiée au Nigéria dès 1971, la maladie a été très sporadique entre 1971 et 1978 (10 cas rapportés) puis on a pu noter une augmentation progressive du nombre des malades avec plusieurs milliers de cas confirmés dans 15 pays différents, dont 11 dans des pays africains (avec un taux de létalité d’environ 3 à 6%) et de rares cas sporadiques importés au Royaume-Uni, aux Etats-Unis, en Israël et à Singapour [7]. Les augmentations les plus spectaculaires se sont produites en RDC où, par exemple, il y a eu 1238 cas de variole du singe (dont 57 décès) entre le 1er janvier et le 1er mai 2022 [2]. L’âge médian des malades est passé de 4 ans dans les années soixante-dix à 21 ans depuis 2010 [5]. Cette augmentation est due à plusieurs facteurs : déclin de l’immunité collective à la suite de l’arrêt de la vaccination contre la variole permettant l’augmentation des contaminations interhumaines, changement climatique et déforestation favorisant une urbanisation des zones où le virus est présent dans ses réservoirs animaux permettant une contamination de l’Homme par l’animal, consommation de viande de brousse.
Moyens de lutte
Il est évident que dans les cas de cette poxvirose, il importe d’éviter tout contact avec la personne atteinte ainsi que tout ce qu’elle a pu toucher.
Par comparaison avec la variole humaine, les mesures d’éradication ne pourront pas être aussi efficaces avec la variole simienne du fait d’un réservoir viral dans plusieurs populations d’animaux sauvages en Afrique.
La vaccination contre la variole permettait d’offrir une protection croisée contre les orthopoxvirus, dont le virus de la variole simienne qui est estimée à 85% [8]. Les cas humains identifiés de variole du singe étaient naïfs pour 90% car beaucoup sont nés après l’arrêt de la vaccination [8]. Lors de l’épidémie de 2003 aux Etats-Unis, le vaccin variolique avait été recommandé par le Center for Disease Control and Prevention (CDC) pour réduire la gravité des symptômes mais il n’a pas empêché la maladie [8]. Il existe maintenant des vaccins de troisième génération, plus atténués, pouvant être utilisés chez les sujets immunodéficients à risque en Afrique. Les autorités sanitaires du Royaume-Uni ont annoncé la possibilité d’une vaccination «en anneau» si le nombre de cas humains augmentait.
Conclusion
Le virus de la variole du singe est un agent pathogène réémergent, qui ne semble plus se limiter aux régions endémiques africaines et qui présente le risque mondial d’occuper la niche écologique laissée vacante par la variole.
Il faut espérer que :
- cette transmission restera interhumaine et limitée ;
- qu’il n’y aura pas de cas humains asymptomatiques permettant une persistance du virus et sa propagation, avec une augmentation des cas confirmés dans les pays déjà atteints ;
- que cette apparente plus grande contagiosité du virus hors d’Afrique n’est pas liée à un nouveau virus qui aurait muté en devenant plus contagieux ;
- qu’il n’y aura pas un relais avec un réservoir animal autochtone dans les pays touchés pour cet agent zoonotique, comme c’est le cas en Afrique.
[2] World Health Organization. Disease Outbreak News; Multi-country monkeypox outbreak in non-endemic countries [Internet]. 2022 [cité 22 mai 2022]. Disponible sur: https://www.who.int/emergencies/disease-outbreak-news/item/2022-DON385.
[3] Promed. Monkeypox: Health ministry confirms only one person contracted virus. Promed; 2022.
[4] Ladnyj ID, Ziegler P, Kima E. A human infection caused by monkeypox virus in Basankusu Territory, Democratic Republic of the Congo. BullOrg.mond Santé. 1972;46:593‑7.
[5] Bunge EM, Hoet B, Chen L, Lienert F, Weidenthaler H, Baer LR, et al. The changing epidemiology of human monkeypox—A potential threat? A systematic review. Gromowski G, éditeur. PLoS Negl Trop Dis 11 févr 2022;16(2):e0010141.
[6] Walker M. Monkeypox Virus Hosts and Transmission Routes: A Systematic Review of a Zoonotic Pathogen. Biological Sciences Undergraduate Honors Theses [Internet]. 1 mai 2022; Disponible sur: https://scholarworks.uark.edu/biscuht/69.
[7] Alakunle E, Moens U, Nchinda G, Okeke MI. Monkeypox Virus in Nigeria: Infection Biology, Epidemiology, and Evolution. Viruses. 5 nov 2020;12(11):1257.
[8] Brown K, Leggat P. Human Monkeypox: Current State of Knowledge and Implications for the Future. Tropical Med. 20 déc 2016;1(1):8.
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