Juliette Mattioli
Senior expert en intelligence artificielle, Thales
Un peu d’histoire
L’intelligence artificielle (IA) est un champ extraordinairement vaste, mais difficile à définir. Cette expression intelligence artificielle fut adoptée au Congrès de Dartmouth en 1956 pour désigner le domaine de recherche qui s’ouvrait alors.
La définition la plus simple de l’IA est celle que donne la mission Villani [1] :
Grâce aux progrès considérables de la microélectronique, à la puissance de calcul et à l’accès à des quantités massives de données, l’IA vit aujourd’hui un renouveau (fig. 1). Cette discipline est redevenue visible ces dernières années, sous la double impulsion de résultats très médiatisés – depuis la victoire de Deep Blue sur Gary Kasparov aux échecs en 1997 à celle d’Alpha Go sur le grand maître Lee Seedol au jeu de go en 2016, en passant par la victoire de Watson à Jeopardy en 2011 ou la victoire de Psibernetix en simulation de combats aériens contre les meilleurs pilotes américains en 2016 – et d’avancées significatives sur des problèmes jugés difficiles comme la reconnaissance d’image, la reconnaissance de la parole, la traduction automatique ou l’analyse prédictive à partir de données massives.
Les deux approches : IA connexionniste et IA symbolique
Ces dernières années, l’IA connexionniste via les techniques d’apprentissage (machine learning) et les réseaux de neurones est à l’honneur, relayant l’IA symbolique au second plan (fig. 2).
Revenons cependant à la définition originelle de l’IA : «ensemble de théories et techniques permettant à un système artificiel de simuler l’intelligence». On parle de capacités cognitives telles que percevoir, apprendre, raisonner, décider, dialoguer et agir. Dans ce cadre, l’IA connexionniste repose sur l’idée que le monde est compositionnel et cherche donc, en s’inspirant du modèle du cerveau humain, à retrouver ce monde à partir d’exemples d’informations, et est bien adaptée à la perception mais peu ou pas à la résolution de problèmes complexes. L’IA symbolique comme la définit Nicholas Asher, chercheur CNRS basé à l’Institut de recherche en informatique de Toulouse (IRIT) et directeur scientifique du projet ANITI, «utilise le raisonnement formel et la logique ; c’est une approche cartésienne de l’intelligence, où les connaissances sont encodées à partir d’axiomes desquels on déduit des conséquences. La prédiction doit être juste même si l’on ne dispose pas de données exhaustives». L’IA symbolique, quant à elle, reste pertinente pour la résolution de problème complexe comme la décision sous contraintes dans un contexte d’incertitude.
Ainsi, David Sadek, VP recherche technologies et innovation de Thales explique que «l’IA connexioniste est l’IA des sens, et l’IA symbolique est celle du sens». C’est pourquoi, pour couvrir l’ensemble des capacités cognitives, l’avenir est dans l’hybridation des deux approches.
Quelques exemples d’applications à base d’IA
Le contexte technologique est favorable et repose sur l’augmentation des volumes de données disponibles, la disponibilité d’algorithmes de plus en plus sophistiqués, l’accélération des échanges et la puissance de calcul et de stockage. Ainsi, le champ des possibles de l’IA est alors immense et ne cesse de s’étendre. En effet, ces dernières d’années, les progrès en IA se sont accélérés et des nouveaux champs d’application et usages ont vu le jour dans de nombreux secteurs comme les assistants personnels, la santé, le commerce et le marketing, les transports et la mobilité, l’environnement, l’industrie, la finance, ou encore la défense et la sécurité.
Le commerce et le marketing sont des domaines où l’IA s’est démocratisée très rapidement. Depuis plus de 20 ans, TF1 utilise l’IA symbolique pour le placement optimisé des publicités en fonction de l’horaire et de l’audience. Le commerce en ligne a très vite adopté les systèmes de recommandation, dont les plus célèbres sont ceux de Netflix, Amazon ou eBay, ou déployé des assistants virtuels comme pour Sephora ou H&M. La communication digitale n’est pas non plus en reste et utilise l’IA pour la création de contenu. Enfin, la grande distribution optimise depuis longtemps sa logistique et sa gestion des stocks par le biais d’algorithmes venant du domaine de la recherche opérationnelle et/ou de l’IA symbolique.
Dans le cadre des assistants personnels, citons l’usage de l’apprentissage dans les correcteurs orthographiques, les filtres anti-spam et la catégorisation des mails mais aussi pour la reconnaissance automatique de personnes pour les réseaux sociaux, de plantes dans les applications telle que Pl@ntNet ou de musiques comme Shazam©. Le speech to text (Siri, Alexa, Cortana), les traducteurs automatiques, la recherche de contenu (Google Search, Qwant) ou les valets digitaux (Amazon Echo, Google Home) reposent sur de l’IA hybride.
Les techniques d’apprentissage appliquées aux traitements d’images ont de nombreuses applications dans le domaine de la santé, comme par exemple l’aide au diagnostic pour le cancer des poumons ou les mélanomes. Citons aussi un projet de recherche de l’université de Montréal au Canada qui combine l’IA symbolique à l’IA des données pour mieux comprendre et expliquer l’autisme.
Le secteur agricole investit dans des systèmes intelligents pour optimiser par exemple l’utilisation d’herbicides ou la gestion de l’eau.
Dans l’industrie financière, la technologie CEP (Complex Event Processing) à base de règles spatio-temporelles est embarquée dans les systèmes de trading. Les banques en ligne déploient des robots conseillers pour optimiser les portefeuilles d’actions.
Les nouveaux enjeux
Qu’elle soit symbolique, connexionniste ou statistique, et/ou combinée à la science des données, l’IA semble promise à un fort développement. Il n’en demeure pas moins qu’un certain nombre de verrous freinent son déploiement, en particulier dans les systèmes critiques, systèmes qui doivent, par construction, garantir des propriétés de sécurité et de sûreté mais aussi suivre des principes de confiance et de responsabilité. Mais la conception de ces systèmes critiques n’est pas neutre. Elle doit reposer sur une IA de confiance et des ingénieries algorithmique et système adaptées et rigoureuses. Pour aller au-delà du PoC (Proof of Concept), il devient donc nécessaire de garantir des propriétés telles que l’explicabilité, la validité, l’intégrité… et la responsabilité, questions encore aujourd’hui ouvertes, mais pour lesquelles les réponses seront sans doute apportées par l’IA hybride. Ainsi Thales travaille aujourd’hui sur un cadre de développement que nous avons nommé Thales TrUE AI qui prône le développement d’une IA transparente, explicable et éthique.
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