Marc Lachièze-Rey
(Le Pommier, 2019, 156 p. 10€)
Le vide, c’est ce qui reste quand on a tout enlevé. Cela paraît simple. Mais on s’aperçoit vite que le diable est dans les détails. Si l’on vide une cruche d’eau, elle est encore remplie d’air. Si l’on pompe l’air hors de la cruche, elle est encore traversée de rayonnements émis par les parois, sauf si celles-ci sont à la température du zéro absolu, ce qui est impossible. Le vide véritable n’existe pas. Il s’agit seulement d’un concept, lequel a traversé l’histoire des sciences et reste aujourd’hui fondamental dans la physique moderne.
Le livre du physicien Marc Lachièze-Rey (qui vient de paraître en seconde édition après celle de 2005) est une réflexion sur le concept du vide. Dans un survol de l’histoire de la physique, l’auteur traque le vide, mais aussi ses avatars ou réincarnations multiples. Car lorsque le vide est réfuté, il réapparaît sous une autre forme. Aristote rejette le vide des atomistes, mais il adopte le concept d’éther et de cinquième élément ou quintessence. Newton refuse l’éther luminifère de Huygens mais il évoque « un esprit subtil qui pénètre tous les corps » pour transmettre l’action à distance de la gravitation. Le vide est un joker auquel on fait appel pour résoudre un problème insoluble !
Dans la foulée d’Aristote, l’Eglise s’est longtemps opposée au concept du vide. Au XVIIe siècle, elle se heurte à des penseurs tels que Bruno et Gassendi, et aux premiers expérimentateurs : Toricelli, Boyle, Pascal, Von Guericke. Plus tard, Maxwell introduit le concept de champ électromagnétique. Le vide se définit alors comme absence de matière et de champ.
Puis vient le vide de la relativité. Il joue un rôle dans le repérage des mouvements. L’auteur nous explique de façon très convaincante que le vide ne peut être que l’état de symétrie maximale. Einstein fait le ménage dans les avatars du vide. Avec la relativité restreinte (1905), c’est l’éther électromagnétique qui disparaît, « une hypothèse superflue ». Avec la relativité générale (1915), c’est au tour de l’éther gravitationnel de Newton de succomber. Le vide devient alors l’espace-temps lorsqu’il est dépourvu de toute source (matière ou énergie). Sa courbure est-elle nulle ? Le sujet est toujours débattu.
On passe au vide quantique. Le monde matériel est constitué d’une superposition de champs quantiques (électromagnétique, électronique, quarks), qui se répartissent dans la totalité de l’espace-temps. On parle de vide quantique lorsque chaque champ est à symétrie maximale et à énergie minimale. Le vide pour un observateur ne l’est pas nécessairement pour un autre. Le vide peut servir de banque d’énergie où des particules virtuelles empruntent au vide l’énergie nécessaire à leur apparition et la rendent en disparaissant. Ce sont-là quelques-unes des bizarreries de la physique quantique.
Dans un dernier chapitre, M. Lachièze-Rey aborde le vide en relation avec la cosmologie. Il raconte la fameuse saga de la « constante cosmologique », une composante répulsive de la gravitation, qu’Einstein ajoute, à contrecœur, en 1917, à ses équations, de façon à décrire un Univers qu’il croyait statique. « La plus grosse erreur de ma vie », dira Einstein. Lorsque Hubble découvre, en 1930, l’expansion de l’Univers, Einstein s’empresse de supprimer sa constante, malgré l’avis contraire de Lemaître. Plus récemment, dans les années quatre-vingt-dix, on découvre avec surprise que l’expansion s’accélère, ce qui est contraire aux attentes, et à la théorie d’Einstein. D’où un nouveau débat : faut-il rétablir la constante cosmologique ? ou bien introduire le concept de l’énergie sombre, avec une toute nouvelle physique ? L’auteur favorise la première solution. Ces deux solutions font appel à des avatars différents du vide. Le débat se poursuit.
A la fin de son livre, l’auteur se lance dans une vive critique du concept de « l’inflation », cette phase d’accélération gigantesque de l’expansion juste après le Big Bang, communément proposée dans les modèles de cosmologie, qui donne lieu à une multitude de variantes. Il ironise en les comparant aux épicycles que Ptolémée ajoutait pour faire coller à la réalité sa (fausse) théorie du mouvement circulaire des planètes autour de la Terre !
Le livre n’est pas d’un abord facile pour le lecteur moyen, en dehors de la partie qui concerne la physique classique (20 pages sur 140). L’ouvrage est dense : aucune phrase n’est superflue. Comme dans ses cours, Marc Lachièze-Rey déroule tranquillement son propos, avec son style fluide, sobre et rigoureux, sans artifice, ni formule-choc. Le lecteur, même profane, peut se laisser guider et assimiler lentement les concepts, présentés sans formule mathématique. En refermant le livre, on aura le sentiment, certes de n’avoir peut-être pas tout compris, mais surtout d’avoir grandement amélioré sa connaissance et sa compréhension du vide et des théories de la physique contemporaine.