Patrice Debré
(Odile Jacob, 2020, 304 p. 22,90€)
De tout temps, l’Homme a souhaité améliorer sa condition. Mais aujourd’hui, doté de moyens inégalés, il semblerait qu’il arrive à un tournant très particulier de son histoire.
Où en sommes-nous de ce que nous savons ou croyons savoir ? Que pouvons-nous faire pour améliorer la condition humaine ? Ce livre offre une belle opportunité de faire le point sur notre connaissance actuelle du vivant afin d’envisager les enjeux de demain.
C’est avec les rites cannibales que la lecture commence. En ingérant «l’autre», nos anciens croyaient intégrer sa force vitale, assurer une continuité entre vie et mort, se transmuter vers l’au-delà. L’Eucharistie des chrétiens relèverait de la même aspiration.
Au cours des siècles, la quête inépuisable de la connaissance nous a conduits à des découvertes sur le vivant, qui explosent actuellement. A la suite des acquis spectaculaires en immunologie, génétique, neurosciences, sans oublier le numérique, les innovations se multiplient et de nouvelles technologies à visée médicale se développent, tant en thérapie génique que dans le domaine des greffes d’organes.
Rien n’est binaire dans les processus biologiques et tout relève d’interactions complexes pour parvenir à des états d’équilibre satisfaisants. En utilisant l’image de l’influence de l’art et de la peinture sur notre ressenti et notre comportement, l’auteur introduit la notion d’épigénétique, c’est-à-dire de l’influence de l’environnement des gènes sur leur expression. Il rappelle également tout ce que nous gagnons de notre symbiose avec le microbiote. En effet, ce chimérisme de l’Homme avec les microbes, qui date de fort loin, ouvre des possibilités thérapeutiques très importantes dans le traitement de l’obésité, des allergies, du comportement, de l’autisme et de certains cancers.
Ensuite est abordée la relation tant médiatisée de l’Homme avec la machine. La révolution numérique avance, avec toute une série de technologies impressionnantes. Et même si les machines n’existent pas sans l’Homme, les énormes possibilités d’apprentissage profond de l’intelligence artificielle (IA) laissent présager des avenirs que la science-fiction s’empresse de s’approprier. Qu’en sera-t-il du cyborg, humain «augmenté» par implant cérébral ? ou de la machine «humanisée» par téléchargement de la conscience dans un robot ? Une nouvelle humanité serait-elle en marche ? En même temps que s’expriment ces désirs/craintes de transhumanime, force est de constater que l’IA, très implantée dans notre quotidien, est bienvenue en médecine pour l’aide au diagnostic, la lutte contre les handicaps moteurs et une future médecine personnalisée.
En réponse aux inquiétudes formulées par différents lanceurs d’alerte, l’auteur rappelle qu’à son point de vue, si l’homme se construit lui-même, la machine est sous sa dépendance et ne saurait le dépasser. Il cite Kant – «On mesure l’intelligence d’un individu à la quantité d’incertitudes qu’il est capable de supporter» – pour souligner cette dimension de l’intelligence humaine inaccessible à l’IA.
Le dernier chapitre traite de l’éthique avec un remarquable rappel historique de la mise en place des comités d’éthique en France et dans le monde. L’éthique est différente de la morale et requiert le débat public. Patrice Debré, lui-même impliqué dans le Comets, comité d’éthique du CNRS, en résume les principes : «Ne changeons pas les lois de la vie, cherchons à les connaître. Nous appelons à une tribune internationale qui s’adresserait à l’homme comme à un bien public mondial». L’idée principale reste que l’homme doit se modifier pour guérir et non pour se transformer.
En lisant ce livre, nous parcourons avec facilité et «appétit» toutes les étapes essentielles des découvertes des sciences du vivant, de ce que l’homme en a fait et se prépare à en faire. L’auteur nous apporte son témoignage éclairé et son ressenti de médecin et de chercheur. Cette lecture est un vrai plaisir. Enrichi d’anecdotes personnelles et de citations remarquables allant d’Aristote à Lewis Caroll et Stephen Hawking, le texte est d’expression fluide et précise.
Il s’agit là d’une impressionnante synthèse scientifique, élargie à une dimension philosophique et humaniste, très accessible à tous les curieux des sciences du vivant et de l’avenir de l’Homme.